l'oeil du sorcier by patrick pesnot

l'oeil du sorcier by patrick pesnot

Auteur:patrick pesnot [patrick pesnot]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


Dès le lendemain, j’entreprenais le traitement ; j’avais résolu les problèmes pratiques. Pour administrer ces gouttes, je ne pouvais pas me servir d’une cuillère : le métal aurait altéré la dilution. Il fallait donc utiliser un corps neutre. J’ai pensé imbiber de gouttes de Biarou des morceaux de sucre. Je pouvais ensuite employer la cuillère, sans risques, pour faire avaler ce médicament aux moutons.

J’ai choisi mes sujets d’expérimentation : cent cinquante moutons en pâture sur une pièce de terre que je louais à dix kilomètres de la Greugne. Cette troupe me donnait les plus grandes difficultés ; les bêtes semblaient folles. Comme les vaches du comte de Chauvière, poussées par je ne sais quel démon, elles ne cessaient de sauter les barbelés et de s’enfuir dans la campagne. Mon berger, le père Charost, un vieux « moutonnier » expérimenté, passait des journées entières à courir après ces moutons fugueurs.

Un matin, je suis donc allé le trouver et je lui ai dit que nous allions soigner les moutons. J’ai commencé une longue besogne : cent cinquante fois la présentation de la cuillère à cent cinquante moutons rebelles qui s’agitaient tant et plus. Le vieux berger écarquillait les yeux. Il n’avait jamais vu ça. Il devait penser que j’étais devenu fou. En partant, je lui ai dit :

– Dans trois jours, père Charost, on recommence.

Encore abasourdi, il n’a rien répondu.

J’ai à nouveau traité mes moutons. Cent cinquante sucres. Cent cinquante cuillerées.

– Voilà, père Charost, si ce traitement est le bon, les moutons ne s’enfuiront plus. Mais par précaution, nous ferons une nouvelle distribution dans trois jours.

Le berger était toujours silencieux. Mais il n’avait plus envie de se moquer de moi. Depuis le premier traitement, pas un mouton n’avait tenté de franchir les barbelés. Dans l’esprit du père Charost, je n’étais plus fou. C’était pire : j’étais le diable !



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